On n’aime jamais les au revoir…

Par où commencer? Les idées se bousculent dans ma tête… Je suis désolée si le texte est décousu. Comment vous présenter une personne qui fait partie de ma vie depuis 33 ans? Comment vous expliquer que cette personne aura toujours une place dans mon coeur?

Bon… je me lance. Ça risque d’être un peu long.

IMG_9006Lui, c’est Yves. Il a connu mon père alors qu’ils étaient au primaire, dans une école du quartier Ahuntsic à Montréal. Jusqu’à son déménagement à Québec pour les études universitaires, ils ont fait ensemble ce que tout garçon adolescent fait: des mauvais coups.

Malgré les 250 kilomètres entre Montréal et Québec, ils ont toujours gardé contact. C’est ce qu’on appelle une amitié vraie.

Yves avait une maison de campagne, avec une grange et une immense terre, à St-Pierre-Baptiste, en Beauce. Cette maison, achetée pour assouvir sa plus grande passion, était le principal point de rencontre entre les Barrette et les Des Rosiers. Combien de nouvel An avons-nous passé à s’échanger des cadeaux près de la branche de bouleau (ce n’était pas un sapin chez les Barrette!)? Combien d’été avons-nous passé à se promener en quatre-roue sur la terre, à explorer les sentiers et à entendre les dernières histoires qui s’étaient déroulées au cours des mois précédents? Combien de moments avons-nous passé autour de la table, à déguster un bon repas? Combien de gin&tonic et de rhum&coke Yves et mon père ont bu ensemble (sans compter les bouteilles de porto)?

Si nous n’étions pas à la maison, nous étions souvent sur la route, en camping, à explorer les quatre coins du Québec. La Gaspésie, la Mauricie, le Saguenay-Lac-St-Jean, l’Outaouais, l’Estrie… nous sommes passés dans presque toutes les régions! Que de souvenirs! Quatre adultes, cinq enfants… Cela ne devait pas être de tout repos!

Guillaume et Étienne, ses fils, ont su très tôt ce qu’ils voulaient faire dans la vie, contrairement à moi. Grâce aux étés passés à la campagne, et à un voisin qui avait une ferme, ils ont décidé de se lancer en agriculture. Bien sûr, cela faisait extrêmement plaisir à Yves puisque que c’était sa passion. Pour plusieurs raisons, il a travaillé toute sa vie en ingénierie forestière. Sa façon de s’évader, de sortir du brouhaha gouvernemental, du quotidien de fonctionnaire, c’était de passer ses fins de semaine à la campagne. C’est ce qui le gardait en vie.

Quand est venu le moment d’acheter une ferme, ce fut toute une aventure! Normalement, les exploitations agricoles se transmettent de génération en génération. En acheter une, c’est une toute autre histoire!

Après avoir visité plusieurs régions et plusieurs fermes, ils ont décidé de jeter leur dévolu au Lac-St-Jean, plus précisément à St-Edmond-les-Plaines. Les premières années furent difficiles tant au niveau monétaire qu’au niveau psychologique. C’est dans ces moments-là q’il ne faut pas perdre de vue son objectif ultime, soit dans ce cas-ci, d’avoir une belle ferme bovine rentable.

Tout le monde est déménagé là-bas, sauf Élise, la fille de Yves. Les moments passés avec les Barrette se sont fait plus rares puisqu’il y avait maintenant 496 kilomètres qui nous séparaient. Mais à chaque fois, nous nous retrouvions comme à l’époque de St-Pierre-Baptiste.

Ces moments passés à l’extérieur de la ville ont toujours eu un effet positif sur moi. J’apprenais des choses, des termes d’agriculture ou de foresterie qu’on ne montrait pas à l’école… La petite fille curieuse que je suis était comblée! Et Yves l’avait bien compris.

Présent depuis ma naissance, Yves a été un deuxième père. Et je crois qu’il me considérait presque comme sa fille. Mais au delà de tout ça, Yves est un ami, une personne avec qui j’ai toujours eu des discussions sur la vie. Un confident.

Malgré nos opinions divergentes sur la façon de voir les choses, il a toujours eu des paroles sages, des phrases qui me faisaient réfléchir ou qui me mettaient hors de moi. Combien de fois, assis les deux dans le salon, nous avons terminé un sujet en disant « Tais-toi donc, vieille folle » ou « Hors d’ordre »?

Yves avait un objectif dans la vie, c’était d’avoir une exploitation agricole. Des embûches, ils en ont eu. Des « bad lucks », ils en ont eu. Mais comme il le disait si bien, on finit toujours par y arriver.

De mon côté, à 33 ans, j’ai encore de la misère à avoir un objectif de vie. Et ça, je sais que ça rendait Yves complètement fou (mon conseiller financier aussi d’ailleurs). Est-ce que je veux une carrière incroyable ou je veux fonder une famille? Est-ce que je veux continuer de voyager ou être un peu plus sérieuse?

Une chose est sûre, c’est que je sais que si j’essaie quelque chose, dans le pire des cas, je vais prendre plus de temps pour remonter la pente. Car la vie, nous en avons qu’une seule. Pourquoi laisser passer des opportunités? Pourquoi dire non? Pourquoi ne pas essayer des nouvelles choses, des nouveaux aliments, des nouveaux sports? Pourquoi ne pas sauter dans le vide?

Quand j’ai su, au mois de décembre dernier, que Yves était atteint d’un cancer du cerveau stade IV, j’ai eu un choc. Pourquoi lui? Pourquoi maintenant?

Mon père m’avait dit qu’il lui restait deux mois de lucidité. Sans y penser une seule seconde de plus, j’ai demandé à mon père si nous pouvions lui rendre visite.

Plus le jour du départ approchait, plus je me rendais compte que j’allais faire la chose la plus difficile de ma vie: dire au revoir à quelqu’un que j’aime. Je me suis rendue compte à ce moment-là que je le verrais probablement pour la dernière fois.

Au cours des trois jours, nous avons fait comme avant. Nous n’avons pas trop parlé de sa maladie. Car je voulais garder ces moments imprégnés dans ma mémoire à jamais. Même les silences étaient importants. Cet instant passé dans le garage mécanique de la ferme, assis devant le feu l’un à côté de l’autre, je ne l’oublierai jamais. J’allais garder mes larmes pour plus tard.

Au moment de reprendre la route, j’ai dû affronter ce que je redoutais le plus… Je l’ai regardé, assis dans son bureau, et les larmes coulaient sur mes joues. Des larmes ont commencé à couler sur les siennes. That’s it. C’était ici qu’on se disait au revoir. Je l’ai pris dans mes bras et je lui ai dit que j’avais été incapable de lui dire ce que je voulais lui dire au cours des derniers jours. Qu’il fallait qu’il surveille son courrier. À 33 ans, et même à 66 ans, on n’est pas tout le temps capable d’exprimer ce que notre coeur ressent.

Par chance, il a reçu ce que je lui avais préparé quelques jours plus tard.

Il m’a répondu par une toute petite carte mais qui voulait tout dire: « Il y a des relations dans la vie qui sont spéciales. En voici une. »

Yves est décédé hier soir, à Dolbeau, à l’âge de 66 ans. Je suis contente d’avoir été le voir et d’avoir pu lui dire comment il a été important dans ma vie.

Repose en paix mon ami. xx
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